Le Petit Garde Rouge

Texte et dessins Chen Jiang Hong – mise en scène François Orsoni, directeur artistique du Théâtre de NéNéKa – Vu au Théâtre du Rond-Point, Paris.

© Simon Gosselin

Né en 1963 en Chine, au moment de la mise en place de la révolution culturelle ordonnée par le Président Mao Tsé Toung et portée par sa propagande, Chen Jiang Hong fait un retour sur image par le récit de sa vie. L’enfant est devenu un grand artiste peintre, il dessine aujourd’hui sur scène, devant nous, son autobiographie, avec une infinie délicatesse, raconte les moments heureux de la petite enfance, avant que le ciel ne s’assombrisse par un totalitarisme qui a gangréné le pays, spolié et brûlé les livres.

© Simon Gosselin

L’artiste est installé côté cour avec ses pinceaux, ses encres et ses rouleaux de papier, dans une superbe scénographie de Pierre Nouvel. Les dessins qu’il réalise durant tout le spectacle sont filmés et repris sur d’immenses toiles-écrans tendues en fond de scène où s’étalent le noir et blanc et la déclinaison de subtiles couleurs. Trois interprètes accompagnent son geste – un narrateur, l’acteur Alban Guyon qui connaît bien l’univers de François Orsoni avec qui il travaille régulièrement depuis plusieurs années ; deux danseuses, Lili Chen, formée à l’École de l’Opéra de Pékin où elle a travaillé dans toutes les disciplines des arts du spectacle et des arts martiaux, et Namkyung Kim, formée à  l’Université des Arts de la Danse de Séoul, puis au Centre chorégraphique de Montpellier. Une bruiteuse, Eléonore Mallo, a travaillé avec Valentin Chancelle sur la création sonore. Placée derrière un tulle côté jardin, elle donne le climat, les rythmes et ponctue les actions. Chacun sert  magnifiquement le récit, dans sa présence, sa simplicité, sa technicité et les subtilités de son interprétation.

L’enfant se remémore ses parents et ses grands-parents, et l’entreprise familiale de tricycles. « Nous sommes en 1966 dans une grande ville du nord de la Chine. Une petite rue grise. Une odeur de charbon flotte dans l’air. » Il dessinait à la craie sur le sol, jouait à saute-mouton et aux billes, adorait le cinéma. Il se souvient de sa grand-mère, éleveuse de poules et des poussins qu’il fallait vendre, de sa sœur, sourde muette, qui lui avait appris la langue des signes, des raviolis de la Chine du nord et du chat qui s’enfuit, du Nouvel An chinois avec pétards et pause chez le photographe, du piano et des comptines, des bonbons, des photographies au parc, des chagrins. Son premier choc fut la mort de son grand-père et les quelques vêtements rapportés par sa grand-mère, seule et dernière trace de lui. Il s’était interrogé sur la mort. Le dessin qu’il exécute sur scène de son grand-père le tenant dans les bras, est poignant, et la triche aux parties de cartes avec sa grand-mère, très tendre : chiffre 2, symbole de bonheur, chiffre 10, symbole d’éternité…

© Simon Gosselin

Les moments heureux envolés, arrivent sur la scène les échos des discours politiques de Mao et son invention de la révolution culturelle « par laquelle une classe sociale en renverse une autre. » C’est l’époque de la répression, des perquisitions débridées réalisées par les Gardes rouges et des travaux obligatoires, son père envoyé en camp à la frontière russe et le terrible manque qu’il ressent de son absence, cherchant sa silhouette sur les fissures du mur de sa chambre, les bons de rationnement y compris sur le riz, l’enrôlement, l’embrigadement et les symboles qui vont avec : drapeau, livre rouge, effigies, chants engagés, idéogrammes, bouliers, autocritique, gymnastique obligatoire etc… « En 1971 Je devins petit Garde rouge du Parti communiste » rapporte le narrateur, habillé de noir. » Il y a ceux qui réussissent à trouver des bons d’alimentation comme les voisins de sa talentueuse professeure de musique qui l’avait initié à Mozart, arrêtée un jour on ne sait pourquoi, et qu’il ne reverra jamais.

© Simon Gossellin

Les séquences dansées, en solos ou duos, permettent de reprendre souffle et sont de toute beauté, Lili Chen et Namkyung Kim rappelant aussi, dans la galaxie familiale, les sœurs de Chen Jiang Hong. La créativité et la maitrise de leur gestuelle et chorégraphie ainsi que les couleurs déclinées des costumes, jaune, bleu ou noir et blanc prolongent le dessin et en accentuent l’intensité. Plus tard, elles font flotter sur la scène les drapeaux rouges des danses révolutionnaires avec la même élégance. Et le narrateur poursuit son témoignage : « On ne voyait pas d’étrangers, on ne connaissait pas l’odeur du parfum. On a l’impression d’avoir subi un lavage de cerveau »  commente-t-il. L’Histoire se poursuit avec en 1976 la mort de Mao, le retour du père, l’émotion du fils, la reprise de ses études au collège puis à l’école des Beaux-Arts de Pékin. En 1987 il quittera la Chine et connaitra l’exil. « Où vas-tu mon fils ? » demandera le père.

Avec Mao et moi, album publié, puis adapté à la scène avec beaucoup de finesse et d’intelligence par François Orsoni, c’est un récit biographique autant qu’un documentaire, ou qu’une séquence de l’Histoire, dont témoigne et qu’illustre Chen Jiang Hong. « C’est un livre très personnel, dans lequel je retrace l’histoire de la Chine à travers celle d’un enfant » dit-il, se plaçant entre son espace personnel – la maison de l’enfance, l’atelier de l’artiste – et l’espace collectif – le politique.

François Orsoni et Chen Jiang Hong avaient déjà présenté ensemble un premier spectacle, très réussi, organisé autour du même principe, à partir de deux « Contes Chinois », Le Cheval magique de Han Gan et Le Prince Tigre, tiré d’albums édités selon la technique traditionnelle, à l’encre de Chine sur papier de riz. Dans Le Petit Garde Rouge ils allient peinture, dessin et calligraphie, récit et danse, avec une grande sensibilité et poésie. Beaucoup d’émotion circule entre la scène et le public. Et quand Chen Jiang Hong lui-même s’avance pour prendre la parole, en direct, une brume le submerge comme elle nous submerge. Son combat pour la liberté se superpose à sa quête artistique, et il nous prend à témoin.

Brigitte Rémer, le 15 juillet 2023

© Simon Gosselin

Avec : Chen Jiang Hong (dessins), Lili Chen, Alban Guyon, Namkyung Kim – scénographie et vidéo Pierre Nouvel – création sonore et régie son Valentin Chancelle – création sonore et bruitage Eléonore Mallo – création lumière Antoine Seigneur-Guerrini – langue des signes Sophie Hirschi – direction artistique Natalia Brilli – régie vidéo Thomas Lanza.  

Vu en juin 2023 au Théâtre du Rond-Point – En tournée : Centre Culturel Alb’Oru, Bastia, 24 novembre 2023 – Espace Diamant, Aiacciu, du 27 au 28 novembre 2023 – L’Avant-Scène, Scène Conventionnée, Cognac, du 17 au 18 décembre 2023 – Comédie de Caen, Centre Dramatique National, du 10 au 12 janvier 2024 – Le Tandem, Scène Nationale Douai Arras, du 15 au 16 mai 2024.